lundi 11 avril 2011

Hors la loi





Aujourd'hui, dans mon pays, cette femme est devenue une hors-la-loi. Son crime? Porter un Hiqab sur le territoire français.

Un nouveau test Hortefeux sur les valeurs de la République?

Ce lundi, le voile intégral est devenu illégal dans tous les lieux publics en France, comme le dicte la loi du 11 octobre 2010, interdisant la dissimulation du visage. Le port du Hiqab ne sera plus autorisé dans la rue, à la sortie des écoles, dans les parcs et les gares, ni dans aucun commerce, sous peine d'une amende allant jusqu'à 150euros et/ou un stage de citoyenneté. Il en sera de même avec "tous les porteurs de cagoule ou de masque" (sic). Reste que les forces de l'ordre "n'ont pas le pouvoir de faire ôter le vêtement qui dissimule le visage", rappelle le ministre. Il ne manquerait plus que ça...

La France devient le premier pays européen à appliquer une interdiction généralisée. Adoptée par le Parlement le 11 octobre 2010 à l'issue d'un débat houleux, cette loi concernerait environ 2000 femmes (et combien de porteurs de cagoule?) dans un pays qui compte, selon les estimations, entre 4 et 6 millions de personnes de "tradition musulmane".

La loi entre en vigueur au moment où la place de l'Islam et de la laïcité sont devenues des thèmes majeurs du débat politique hexagonal, à un an de la présidentielle de 2012, sur fond de montée du Front national.





Ouf, la République est sauve. "En France, on n'est pas polygame, on ne pratique pas l'excision sur ses filles, on n'égorge pas les moutons dans son appartement et on respecte les règles de la République » assurait-on avec élégance à la télévision, lors de la dernière présidentielle, dans une émission à grande écoute. Pourtant, il faudra bien qu'elle fasse le deuil de la monoculture, de la religion unique, de ses chères têtes blondes chantant la Marseillaise sur les bancs de l'école.

A-t-elle bien tout compris compris, la Republique? En voulant défendre en toute légitimité la laïcité et les valeurs républicaines, elle contribue à fragiliser, à isoler les porteuses de voile intégral, et à radicaliser leurs positions.

A partir d'aujourd'hui, certaines limiteront leurs sorties au "strict minimum", d'autres envisageront de porter un masque chirurgical, joli pied de nez à la république. Certaines - Françaises de naissance- partiront s'installer dans un pays musulman pour de bon, quelques-unes seulement se résoudront à se dévoiler.

POURQUOI LE VOILE?

Les raisons du port du voile sont multiples. Une chose est sûre: son adoption n'est en aucun cas un rejet de socialisation. Dans la majorité des cas, les femmes qui le portent ont un degré d'education élévé, une part active dans la société. Pour mieux comprendre ces femmes françaises qui ont fait le choix de se voiler, la fondation Open Society Institute, du milliardaire George Soros, offre une plongée interessante dans l'univers de trente-deux d'entre elles. Marquée par une approche anglo-saxonne et une incompréhension teintée de critiques face aux débats sur l'islam en France, l'étude s'inscrit dans un projet qui promeut "la diversité culturelle" et l'intégration des "groupes minoritaires", dont les musulmans vivant en Europe. Au-delà de cette intention politique assumée, l'étude vaut pour la diversité des témoignages. Ponctués de formules religieuses, ils dessinent les profils de ces jeunes femmes, leur mode de vie, leur position face à la loi.

Volontaires pour témoigner, toutes déclarent sans surprise que leur démarche relève d'un choix. La plupart sont entrées en conflit avec leur entourage, notamment leur mère, lorsqu'elles ont adopté cette tenue. Parce que cela ne correspondait pas à leurs traditions ou par peur des difficultés dans leur vie sociale. "Ma famille me traite de salafiste, de fondamentaliste!", assure Haifa, 19 ans. La dimension spirituelle de la démarche traverse tous les témoignages. A la limite du mysticisme, la plupart décrivent un sentiment de "bien-être" dans cette tenue. "C'est une forme d'adoration", témoigne Haifa. D'autres évoquent "une fierté" ou encore une "protection" contre le regard des hommes, et souvent l'affirmation d'une séparation des sexes, "solution à de nombreux problèmes", selon Safa, 37 ans.

Elles se montrent très méfiantes face aux institutions musulmanes et parfois envers l'imam de leur mosquée. Contrairement à l'avis majoritaire défendu par les responsables musulmans, dix d'entre elles considèrent le niqab comme une "obligation coranique". Face aux agressions, surtout verbales, dont elles font l'objet, notamment par la communauté musulmane elle-même qui accusent ces fantômes noirs de rendre leur vie en France plus difficile, la plupart préfèrent ne pas réagir, confiantes dans la justice divine. Toutes assurent qu'en cas de besoin d'identification, elles sont prêtes à se dévoiler...

L'intégration est un beau concept qui emprisonne à vie ceux qui le rencontrent sur leur chemin, qui scinde la nation en deux, les légitimes et les illégitimes, les intégrés et les non-intégrables. Alors, que dire de cette prétendue menace que ces populations font peser sur la nation ? Menace des plus sournoises pour les plus nostalgiques d'une France aux racines judéo-chrétiennes, et menace des plus dévastatrices pour les défenseurs d'une nation gauloise. Menace qui répond enfin à une angoisse collective, transformant le musulman en bouc émissaire, expiatoire du mal-être français.


vendredi 11 mars 2011

Danse tribale


Et ça (re)commence...

Aujourd'hui, jour de repos hebdomadaire, quelques milliers de manifestants (50.000?) contre le régime monarchique actuel, se sont réunis entre sermon de midi et prière du soir, pour manifester - non pas au Rond-Point de la Perle, terrain conquis- mais à Riffa.
(Ci-contre: Pro-gouvernementaux à Riffa, décidés à defendre eux-même leur quartier contre les manifestants contre-régime)

Quelle drôle d'idée! Elle a d'ailleurs été immédiatement condamnée ou fortement déconseillée par tous les partis modérés de l'île, y compris par Al Wefaq, le parti d'opposition qui détient 18 sièges au Parlement: "Ce serait une menace pour la sécurité des Bahrainiens et pour la paix sociale". Car Riffa, le quartier des Sunnites privilégiés de Bahreïn, est aussi le lieu de résidence des membres de la famille royale. C'est aussi là que se niche la Cour Royale de leurs majestés Al-Khalifa.

Pourtant, les manifestants ont bien réussi leur marche et leur pari. En plein bastion pro-gouvernemental, sous les regards lourds de leurs compatriotes Bahrainis sunnites, ils ont pu clairement et calmement exprimer leur volonté d'un changement de régime, d'un remaniement gouvernemental total et démocratique - irait-on jusqu'à dire... utopique?

Pour les 200 policiers postés entre les deux groupes, dos au Palais, ce fut moins drôle. Notamment lorsque les tirs de pierres entre les deux factions politiques ont commencé: shiites d'un coté (pacifiques mais agiles au tir de pavé) et sunnites de l'autre (simples "sportifs" maniant le club de golf, la batte de baseball et le sabre d'apparât avec zèle).

Il fallut ressortir l'artillerie légère: tirs de gaz lacrymogènes, balles latex et tutti quanti.

Résultat: 150 interventions médicales pour problèmes respiratoires, coups et blessures mineures, et AUCUNE VICTIME! (chiffres non vérifiés). Bien fait pour la presse!

(Ci-contre: Pro-gouvernementaux à Riffa aujourd'hui, décidés à defendre eux-même leur quartier contre les manifestants contre-régime)

Car, voyez-vous, il est de bon ton, parmi les cercles les plus cultivés du pays, de clâmer que la presse internationale fait mal son travail: trop sensationnaliste, pas assez impartiale (ce qui n'est pas toujours faux, il faut le reconnaitre). Mais que dire de presse locale, sourde, aveugle et muette?
Ici d'ailleurs, on les met vite au pli ces journalistes colporteurs d'une mauvaise/fausse image de Bahrain. Aujourd'hui même, Johnny Miller, cameraman de la presse britannique, a été "molesté" par un groupe de 300 à 400 pro-gouvernementaux qui ont chercher à lui apprendre la marche à suivre pour l'obtention d'un reportage plus "impartial" en lui détruisant ses prises de vues.

Comme me l'écrit un clairvoyant et très impartial ami expat à Bahrain: "Tu n'as pas le droit de colporter ces images. Comment sais-tu que ces hommes ne sont pas en train d'effectuer une danse traditionnelle devant le palais Royal"? J'adore l'humour portugais.

Un exemple de "brèves de comptoirs" à Bahreïn, ces jours derniers: "Comment, mais voyez vous, le monde doit savoir: ce n'est pas l'Egypte ou la Tunisie ici! Le peuple de Bahreïn est gâté, privilégié... Chaque citoyen obtient 1000 BD à son mariage, et même une maison, nous vivons dans une économie riche. Il faudrait savoir: soit on veut le confort, soit on veut la Liberté!"
No comment.




















samedi 19 février 2011

Le dialogue à Bahreïn, enfin!


Enfin, l'appel au dialogue.
Un grand pas du Prince héritier de Bahreïn! Mais le Al Wafaq, parti de l'opposition shiite, jouera-t-il le jeu du dialogue, après les évènements sanglants des derniers jours?
La population se regroupe sur le Pearl Round about, la place de la Perle une fois de plus. Ils sont des milliers, en liesse. Femmes et enfants à nouveau. Le Prince rassure par Twitter: "allez-y en confiance, il n'y aura pas de violences".
Faut-il y croire?


vendredi 18 février 2011

Double jeu, double discours









Arrivée des tanks de l'armée dans les rues de Bahrain ce matin.



Ce matin, tout Bahreïn s'est réveillé avec la gueule de bois. Groggy, K.O. Un sale goût dans la bouche.
Qu'était-il advenu de notre petit coin tranquille et bon enfant, notre "colonie de vacances" pour expats, ancienne civilisation de Dilmun, l'ile aux 1000 palmiers, la perle du Golfe?

Les moins bien lotis pleuraient un ami ou un frère. Les plus chanceux digéraient encore les images de violence visionnées la veille sur twitter, Facebook ou à la télévision, très en retard sur les évènements, confirmant ce que l'on sentait déjà: Une nuit de boucherie au rond-point du Lulu. Pas d'autres mots.
Actes de violence gratuite, blessures à la tête par centaines, secours et ambulances interdits d'accès à la place Lulu, menaces de morts et actes de maltraitances sur du personnel soignant venu sur place... sans compter les 4 morts (officiels) et les 60/70 personnes disparues, adultes ou enfants. Human Right Watch est débordé. Et les USA, bien emmerdés.

A 9h, j'osais à peine remettre le nez sur internet. Finalement, tout paraissait plutôt calme.

A 10h, Bahreïn enterrait 3 de ses 4 défunts, décédés jeudi soir ou vendredi, des suites de leurs blessures.
L'enterrement a eu lieu dans le calme, avec des slogans appelant - soit- à la chute du régime, mais c'est de bonne guerre après un coup pareil...
La cérémonie collective se déroulait à Sitra, une île séparée de l'ile de Manama par deux ponts, dont l'un donne accès direct à la base Americaine, la 5eme flotte, le fleuron américain dans le Golfe (15000 hommes et pas des tendres...). A priori, pas de danger de "débordements".

Et bien, raté.
Peu avant le coucher de soleil, 16h? 16H30? L'armée a tiré sur la foule, blessant 20 à 40 personnes, dont 4 grièvement. Les manifestants (entre 1000 et 2000 selon sources) tentaient -selon certains- de rejoindre la place de la Perle (Lulu) pour revendiquer. Selon d'autres témoins, il s'agissait des familles des défunts retournant vers leur quartier à l'autre bout de l'ile, Budaya.


Un nouvel affrontement, avec des tirs de balles réelles et beaucoup de blessés. Les médecins de l'Hopital Salmaniya annoncent que les services sont saturés, appellent la population à venir donner du sang et demande de l'aide à la communauté internationale.





Confrontations de ce jour. Face aux chars, cette fois
(photo anonyme)

L'entrée de Salmaniya Hospital ce soir. (Photo Reuters)














Autre monde, autre coté du miroir, voici le communiqué officiel de "We are Bahrain" un groupe pro-gouvernemental sur facebook et Twitter:
" Les autorités militaires confirment qu'elles ont affrontés ce jour un groupe de manifestants qui souhaitaient rejoindre la place Lulu (perle), fermée au public depuis la nuit d'évacuation du 17 février. Ils ont été amenés à tirer des balles d'avertissement sur la foule. Les manifestants ont alors sortis des sacs de faux sang et s'en sont recouverts pour créer un faux scénario d'horreur destiné à la fabrication de
photos pour la presse. Le Ministère de la Santé confirme qu'il n'y a aucun blessé.".

No comment.

Cet après-midi, les bahreïnniens pro-gouvernementaux ont défilé en voiture dans les rues de Bahreïn. En masse. Et ils ont bien fait. Ils ont aussi leur mot à dire, que diable! Ils ont d'ailleurs jamais manqué de pouvoir l'exprimer, eux.
Dans la petite île d' Amwaj où j'habite, ceux que j'ai croisé au Tea Club étaient fort sympathiques, assurant que la fin de la "crise" étaient proche, que le dialogue commencerait dès que les chiites accepteraient de s'assoir à la table des négociations".

Manifestants pro-gouvernementaux ce soir à
Amwaj.


C'est d'ailleurs ce que cette journaliste - qui ne manque pas de "couilles" - à oser demander au Ministre des Affaires Etrangères de Bahrain, lors du sommet du GCC (pays du Golfe).
Pour moi, Reem Khalifa du journal Al Wasat, c'est le "héros" de la semaine. Elle a monopolisé le micro, demandant, d'abord dans le calme puis en pleurs, que le gouvernement écoute son peuple, ouvre le dialogue, cesse la violence...





C'était il y a deux jours.

A priori, le message a du mal à rentrer.
Quoique?

A l'instant, communiqué officiel du Crown Prince, Prince héritier de Bahrain: "Un appel au calme entre les deux parties! Donnez-nous du temps. Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes inhérents à l'Histoire de Bahreïn en quelques heures. Nous demandons plus de respect mutuel et de confiance, pour atteindre une solution".

Les Chiites, 70% de la population de Bahreïn, demandent la libération des centaines de chiites emprisonnés en aout 2010, sans jugement. Ils demandent aussi "Une véritable monarchie constitutionnelle avec un gouvernement élu par le peuple». La famille royale tient 50% des postes au sein du gouvernement. Elle est aussi le symbole de la corruption". C’est ce qu’a déclaré mercredi 16 février 2011 Ali Salmane, chef de l’opposition chiite. Les chiites se plaignent régulièrement d’être discriminés, en matière d’emploi, d’accès aux services sociaux ou au logement. Ils reprochent aux autorités de favoriser les sunnites venus de l’étranger, qui obtiendraient facilement la nationalité bahreïnienne et les avantages qui vont avec.

Les chiites de Bahreïn contenteront-t-ils du discours officiel de ce soir?
Au moment ou je vous parle, plusieurs centaines de manifestants sont réunis devant l'hôpital Salmaniya, et appellent la communauté internationale à l'aide.
Dans 15 jours, Bahreïn acceuille le premier GP de Formule 1 de la saison. Voilà qui met la pression....



Incroyable intervention de la journaliste Reem Khalifa au Minitre des Affaires Etrangères de Bahreïn, au sommet extraordinaire du GCC, mercredi.
Un acte anodin, en Europe mais que l'on peut payer cher ici.
Traduit en anglais par J. Al-Ali.

"Your Excellency

I need to say a word in front all of the media. I'm a Bahraini citizen, my father is sunni, and my mother is shia. Mixing and intermarrying in bahrain is a part of our society's culture. We do not discriminate, I am not sectarian. I adore my country to the bone. I am an independent reporter; I love my country and i'd give anything for it. We believed his majesty the king, and we voted on the national charter.

What happened in lulu square was a massacre, your excellency. Forgive me, and I say this in front of the local and international media, and i do not want to embarrass anyone. What i saw, was unbelievable. What is happening in Salmaniya Hospital is unbelievable. We need blood, we need doctors for the injured. I do not want to lengthen this, forgive me. My loyalty is to my country, and I just want to say we do not want to change anything. All we hoped for is to have a voice, and participate in the reform process. Believe me your excellency, and to all the royal family, I wrote it with the loudest voice, what is the problem? Is it a trust issue? Is there a problem between the government and the citizens? Why is this discrimination happening?

Please your excellency, forgive me i just have to tell you. When i saw the scene, saw the injured, and the people falling on the ground... forgive me but I'm shaking right now. I am in a mourning state for my country. and I'm saying this with all due respect, I plead the king to take the just course and save this country. I also plead the gcc.. why does the army come into a gulf country? Excuse me, but right now i do not talk as a journalist, I'm just wondering why is this happening? Did the situation require armies from neighboring countries to come in? We did not sleep your excellency since 3 am, this is wrong, and i wish from the bottom of my heart that this is resolved."

Le gardien du non compromis

Hier 16/02



Ecoeurée.
6 victimes. Peut-être une 7e cette nuit (une gamine de 8 ans asthmatique succombant aux gaz- info non confirmée), la plupart mortes des suites de blessures par balles a fragmentation et balles caoutchouc.
Vous voulez vraiment voir à quoi ca ressemble, un mort par balle à fragmentation?
Allez voir la section "photos" de Nick Kristof,
reporter pour NY Times, sur son Facebook. Il y était, on l'a suivi sur Twitter tout le long.

En attendant, on ne peut rien pour ceux qui sont morts mais il reste quelques centaines de blessés à traiter dans les trois hôpitaux du centre de Manama (600 selon medecins, 150 selon sources officielles). Blessures à la tête, c
orps criblés d'éclats. Même les docteurs stagiaires réquistionnés d'urgence en ont fait des crises de nerfs.


C'est quoi la cause de ce carnage? Une attaque brutale, à 3h30 du mat, des forces de l'ordre Bahreïniennes sur le Pearl Round About (rond-point de la Perle), dispersant une manifestation de 3000 à 6.000 personnes max. - pacifiques pour les uns, reservoirs à extremisme pour d' autres- à coup de gaz lacrimogènes.
Pas d'échappatoire possible: Pillonage +
Encerclement + Baston = place forte reconquise en 30mn.

Je lis dans la presse:
"What demonstrators (Chiites) wanted was not democracy, but superiority".

Les leaders arabes apprennent vraiment trop lentement.
Et now, what?


L'armée prend place dans le centre-ville

mardi 15 février 2011

Bahreïn, l'équilibriste


Oui, il semble que la situation dégénère.

Rien de comparable à l'Egypte ou la Tunisie, soit.
Mais on comptait cet après-midi entre 6000 et 15.000 manifestants (selon les sources, on s'en doute) sur le rond-point de la Perle, la Tahrir square des Bahrainiens. Tous solidaires à l'appel d'une page FACEBOOK intitulée "Jour de rage" (je me garde de traduire le nom en anglais, les sites et blogs étant sous surveillance), ceux-ci avaient défilé avec véhémence déjà hier.
Un "remake" de l'appel au "Mouvement du 6 avril" en Egypte.

Aujourd'hui, le mouvement, loin de s'éteindre, prend de l'ampleur. Le nombre de manifestants a doublé, voire triplé, en raisons de deux décès survenus entre hier et aujourd'hui.

Deux jeunes chiites -doit on le préciser- ont officiellement trouvé la mort, l'un -Ali Mcheimeh, du village de Al Diyar sur l'ile voisine de Muharraq, est décédé mardi des suites de ses blessures, survenues lors d'une confrontation musclée avec les forces de l'ordre. L'autre- Adel Salman Matrouk- fut atteint par une balle à fragmentation qui a "ricoché", devant l'hôpital où se trouvait le corps de la première victime. Si vous avez un doute sur ce que le terme "musclé" peut signifier, allez voir la video de Bahreïn sur le site du journal Libération.

Il faut dire que la Police d'ici n'est pas la même que celle de chez nous. Les envoyés des Human Rights avaient perçu le potentiel de violence: la force royale est efficace, constituée en grande partie de milices venues de Syrie, Soudan, Yemen, Pakistan ou Maroc, attirées par la promesse d'une éventuelle citoyenneté Bahreïnienne. "Même s'ils ne parlent pas un mot d'arabe!" ajoute Lulwa, assise à une table du Café Costa, au coeur du plus luxueux Shopping Center de la ville de Manama, City Center. Elle pianote sans relâche sur son Nokia, impatiente de recevoir un SMS annonçant le prochain lieu de manif. pour son clan. "On a un état sunnite qui préfère donner des emplois à des étrangers et qui exclut les chiites, alors que nous sommes les plus nombreux!" s'emporte-t-elle, en remettant rageusement son voile drapé sur sa tête.

Les Bahreïniens ont pourtant bien choisi par référendum, lors de leur indépendance en 1971, de faire allégeance au clan Al-Khalifa, lignée d'émirs arabes et sunnites. Si le pays a initié en 2001, un processus unique dans la région d'ouverture politique en réussissant la formation d'une première chambre élue de tout le Golfe, on ne badine pas pour autant avec le risque de déstabilisation du régime -sunnite- par une population a dominance chiite.

A sa décharge, l'Iran (Chiite), voisin invisible de l'autre coté du Golfe, est aussi proche que gorumand. Il est insidieusement présent dans la marche du pays à 70% chiite. En 2009, le porte-parole du parlement Iranien Ali Akber Natq Nouri avait cependant rappelé avec diplomatie que "Bahreïn était la 14e province d'Iran et disposait à ce titre, durant le règne du Shah, d'un représentant au parlement". Une intervention qui valu a l'Iran un gel total des négociations sur de futurs contrats de gaz Saudi-Bahreni. Mais le géant perse convoite ce hub de la finance et de l'énergie d'un oeil d'autant plus affûté que Bahreïn abrite la 5eme flotte américaine, composée de 15.000 hommes, chargée du contrôle des embargos, des routes maritimes et de la sécurité des détroits du Golfe. Un royaume gros comme une tête d'épingle (60km sur 80), qui pèse sur l'échiquier.

Tout autour de City Center, sur les terrains vagues qui entourent les gratte-ciel et centres commerciaux géants du centre-ville, des rangées de fourgons de Police rutilants attendent les ordres. Des escadrons prêts à l'appel.



L'autoroute principale, qui traverse le centre-ville et surplombe le "Pearl Round about" est fluide dans un sens (vers le pont de l'Arabie saoudite) et complètement bouchonnée de l'autre (vers le centre-ville): fermée jusqu'à "nouvel ordre", un terme repris par le Lycée Français sur son site. Pas de travail, pas d'école . Aujourd'hui pourtant, il faisait beau et nous sommes allés pique-niquer au Fort de Bahrain, histoire de relativiser et d'ancrer cette île dans son histoire, qui, il y a 5000 ans, était connue comme le "Jardin d'Eden", pourvue de sources d'eau douces en abondance et d'une végétation luxuriante.

Système sur mesure. Majorité Chiite, dirigée par une minorité Sunnite: la balance est délicate, et compliquée par le fait que la moitié de la population est immigrée. A la chambre des élus, le mouvement chiite al-Wefaq compte 18 élus sur 40 sièges. La Chambre dispose de pouvoirs limités. Le poste de Premier ministre est occupé par un membre de la dynastie sunnite des Al-Khalifa qui règne depuis 1783 sur Bahreïn.
SM L'émir Hamad Bin Isa al-Khalifa s'est d'ailleurs auto-proclamé roi il y a seulement neuf ans, en 2002.
Le 14 février, exactement.
Tiens donc.

PS: Seulement trois de ces photos sont miennes. Le reste= Reuters.

lundi 14 février 2011

Bahrain... 10 points!



Après l'Iran, la Tunisie, l'Egypte, l'Algérie, le Yémen... la tranquille île de Bahrain serait-elle aussi "en crise"?
De "sérieuses manifestations" contre le régime monarchique actuel (comprendre "anti-sunni") ont été annoncées depuis un mois pour ce jour de la Saint-Valentin, d'abord alimentées par un bouche-à-oreille apocalyptique, puis relayées de façon plus pragmatique par différents communiqués rissus des Ambassades au cours de ces derniers jours. Au grand jeu de l'Araborévolution, les gagnants sont, avant tout, les meilleurs communiquants.

Angleterre: 10 poins. England, 10 points.
L'Ambassade d'Angleterre fut la plus rapide à informer les citoyens britanniques en poste à Bahreïn (2 jours avant les autres). Ils furent aussi les plus concis, et les mieux relayés. (Voir le communiqué plus bas).

France, 8 point. France, 8 points.
Le communiqué de l'Ambassade de France a Bahreïn eut le mérite d'être concis, sans sensationnalisme ou extrapolation. (voir ci-après).

Pour l'Etats-Unis, 6 point. USA, 6 points.
Le communiqué de l'Ambassade des Etats Unis est arrivés le 12 février, particulièrement détaillé. Il déconseille fermement à tous les ressortissants américains de sortir de chez eux du dimanche 13 au mardi 15, jour de l'anniversaire du prophète Mohammed.

Qu'importe. Ces messages faisaient -chacun à leur façon - un peu froid dans le dos. Et le gagnant est à chercher plus loin dans ces lignes...

A cette heure , qu'en est-il de la situation?
Si vous aviez, comme moi, zappé toute la journée sur Bahrain TV, vous auriez constaté, incrédule!, que les seules images à passer en boucle étaient celles d' un stade rempli de jeunes gens en liesse, réunis pour la parade du 12 février, organisée par le gouvernement pour fêter les 10 ans du National Action Charter.
Le National Action Charter? Un document établi à l'initiative du le roi Hamad ibn Isa Al Khalifa en 2001, afin de mettre un terme aux soulèvements répetitifs d'une partie de la population - à 70% shiite - durant la décade 90. Approuvé par referendum il y a 10 ans par 98,4% des votants, le texte de loi permit au pays de retrouver une constitution et un équilibre politique. Une vraie victoire pour ce pays 'melting-pot'.

Mais cet anniversaire, fêté en grande pompe la veille des manifestations, avec speeches à la gloire de la démocratie, spectacle et feu d'artifice, bain de foule bien orchestré des membres du gouvernement ( genre 'Chirac à la Foire de l'Agriculture de Paris'), et un "cadeau" inespéré du roi, qui octroie à chaque famille Bahrainienne, 1000 Bahraini Dinars (2000€), a bien un petit goût amer. Du grand art en matière de communication et de management de crise. Mais émetteur et récepteur disposent-ils d'un code commun?

Dialogue de sourds
Aucune télévision locale, aucun journal ne témoigne ici d'une quelconque forme de protestations ou de manifestations dans l'île ce jour.
Il faut tomber sur Al Jazirah TV pour enfin trouver 30 pauvres secondes d'images sur les rues de Bahrain. Pas grand chose: quels jeunes armés de cailloux qui en font trop. Des femmes réunies pour manifester pacifiquement mais qui restent bloquées par les débordements. Dans le centre-ville et les villages Chiites de Budaya/Saar, quelques 1000 à 1500 manifestants se réunissent pour marcher ensemble et crier leurs slogans contre le régime monarchique actuel. Ils sont aussitôt dispersés par des tirs de gaz lacrimo de la Police. Ils se fixent alors par téléphones portables un nouveau lieu de rassemblement. Le jeu du chat et de la souris. Et un mort officiel, à l'heure où je vous écris.
Pas facile le chemin de la démocratie.
Dans le monde arabe, la complainte est la même: "Nous sommes comme nos dromadaires. Nous portons de l'or, mais nous ne mangeons que de l'herbe".

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Reçu le 9 février 2011.
Ambassade de France:
Chers compatriotes,
Comme vous le savez probablement, une série de manifestations se préparent à Bahreïn à travers le réseau social informatique "Facebook", pour les journées des 13 et 14 février 2011, sous le label "DAY OF RAGE".
Les manifestations prévues sont apparemment les suivantes :
1/ le 13 février
Karzakan : 19h30, manifestation de masse
Karzakan : 19h30, nombreux événements
Malkiya : 19-21h, extinction des lumières
Karbabad : 19h30, manifestation de masse + sit-in pacifique
Bal-al-Bahrain : 20h-22h, manifestation en voiture avec klaxonne
2/ le 14 février
Bab-al-Bahrain : 8h00 sit-in pacifique
Sanabis, en face de Géant : 16h00, sit-in de masse pour la libération des prisonniers
Malkiya : 19h00, manifestation de masse
Manama : 20h00, manifestation générale de masse
Il est bien entendu difficile de mesurer le succès que rencontreront ces manifestations, mais l'Ambassade de France vous recommande la prudence. L'ambassade ne manquera pas de vous informer de l'évolution de la situation.

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Reçu le 9 fevrier au soir:
We are aware that protest demonstrations may be held in Bahrain during the evening of 13 and throughout 14 February.
We believe such demonstrations may occur in the following areas: along the Budaiya highway; Aldair village along Aradouse road; near Geant/Bahrain Mall; Bab Al Bahrain and the Manama Souq; Central Manama; Northern villages assembling near AlDiraz Roundabout, Abu Seba'a roundabout, AlZinj Main Street, AlDeeh, Sanabis, and Jid Hafs, then heading towards Pearl Roundabout; Bani Jamrah (heading towards Sar Roundabout); Hamad Town; Sitra Island; Malkiya; Karbabad; Karzakan; and Naim.

However, demonstrations may also occur in other areas of the island, and may spread to highways and / or neighbouring shopping malls.
We have amended our travel advice to reflect the fact of these demonstrations - see http://ukinbahrain.fco.gov.uk. But we cannot confirm in advance what level of disruption this may cause, and for now we are not advising UK residents or UK travellers to Bahrain to take any special steps beyond those already given in the travel advice. We will monitor the situation and send out a further update if this changes.
Our travel advice currently says - please be aware sporadic demonstrations and outbreaks of violence continue at a low level in some parts of the island. Arrests have been made. You should maintain a high level of security awareness, particularly in public places and on major highways. You should avoid large gatherings, crowds and demonstrations, as a number of them have turned violent.
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Prise de tête:

"The reasonable man adapts himself to the world. The unreasonable one persists in trying to adapt the world to himself. Therefore, all progress depends on the unreasonable man". George Bernard Shaw (1856 - 1950)