lundi 17 mai 2010

Ci-git le rêve

Chuuut …Silence.
Recueillement.
Je pleure le mort-né. Je l’ai arraché de mon ventre, je l’ai pari au sol, écartelée de rage.
Je l’ai tiré si fort que les murs en résonnent. Même mort, il accrochait ses ongles dans la matrice.
J’ai nettoyé le sang, la bave, la morve et les pleurs. Repris une posture. Puis à l’heure où la maison est vide, écrasée de silence, j’ai creusé le trou, dans le sable du désert. Les genoux ont fléchi. Je le tenais serré, il était si beau encore… et j’ai tout lâché. La haine, le manque, la désillusion, la douleur. Comment ai-je pu me tromper ? Le rêve est mort.
Qu’importe? Ce n’était qu’un rêve. Mais de l’avoir tant frotté, cajolé, nourri, je lui avais prêté vie.
Il y en aura d’autres, oui.
Mais pas comme celui-ci, tout auréolé d’aventures, repu et luisant de jouissances. Dis-moi, mon ami, mon compagnon, mes yeux, ma lumière : Pourquoi le beau devient hideux et le pur devient vice? Et le bonheur, rien qu’un grand champ de pisse…

Ci-git le rêve. Mort de n’avoir pas été désiré. Ou s’il le fut, de ne l’avoir pas su. Mort à petit feu. Comment pardonner? Pendant que toi, tu soignais ton bras, tes côtes et ta queue. Sacrifié sur l’autel de l’«idéologie» - quel joli nom pour l’orgueil ! – ou par un bête manque d’y croire, une absence de combativité, un excès d'ego ou par négligence… Qu’importe, il n’est plus.

«Tu ne comprends pas, disais-tu, je suis le beau papillon. Je deviens l’ombre de moi-même, mais mon ombre est encore pleine de la pédante obsession de mes privilèges perdus… Comment croire en ce rêve, et même en toi, alors que tous m’enculent? Mieux vaut l’asphyxie»

Non, je ne comprends pas, mon ami, mon compagnon, mes yeux, ma lumière. Combien de cadavres faut-il pour te battre autrement? Tes œuvres sont plus grandes que toi, elles veulent de la lumière. Car demain est le jour de tous les possibles. Et moi, je sais. Toi, tu ne le sais pas encore. Je sais que dans ces yeux éblouis qui les caressent sur le papier, il y a ceux d’où vient la manne…

Tu seras bien vieux - Moi, je sais déjà, toi tu ne le sais pas encore – et elle sera toujours collée à ton poitrail, la fulminance, l’écharde, la tête d’épingle. Le sale poinçon d’amertume. Ce qui aurait pu être et n’a jamais été. La clé gaspillée. Oh, rien de vital, bien-sûr. 
Je te souhaite de n’avoir que cela à regretter, mon compagnon de route, mes yeux et ma lumière. Comme moi, je regretterai mon rêve mort-né et mon ami à jamais.

Extrait de "A chacun sa place".
Editions Casterman. haha

mardi 27 avril 2010

L'histoire de Yasmina - la suite

Il y a 8 mois, dans un avion Oman Air à destination de Bahreïn, une drôle d'histoire d'amitié est née entre le siège 15A et le siège 15C.  (cf blog- L' histoire de Yasmina).
Yasmina, l'indienne de Chennai, rentrait chez elle en Inde, après un exil volontaire à Oman.  En transit entre deux villes et deux vies, elle était douce à regarder et émouvante à écouter, avec son corps en morceau et son coeur en fête. Et voyez comme la vie est ironique! J'ai fêté cette année le nouvel an à... Chennai.

Il n'y a pas de hasard. Que des signes. Il me fallait retrouver Yasmina. 
Avec le numéro de téléphone en main, rien de bien compliqué. 
J'eus d'abord en ligne son frère Ahmed (photo): un rendez-vous sur la grande plage de Marina Beach (photo), face aux immeubles dévastés par le tsunami de 
2004.

"Regarde! C'était ici, la maison de Yasmina. Tu vois le trou dans cette façade? 
Un thonier de 18m de long est passé par là, emporté par la vague. Un monstre, un mur d'eau qui a propulsé le bateau à travers l'immeuble, le perçant de part en part. Yasmina et ses filles étaient chez moi. Une chance. Mais ce soir-là, son mari a disparu. Yasmina s'entête à dire qu'il n'est pas mort. Qu'il est perdu et va revenir. Quand elle aborde le sujet, nous, on tourne la tête: there is nothing to say...".


Depuis, la famille a été relogée avec les centaines de voisins en périphérie de la ville, loin de la mer, près du bidonville de Gandhi Nagar. Mais peu les pêcheurs ont accepté de rester dans cette cité éphémère de contre-plaqué où les éboueurs ne passent pas. A quoi bon puisque bientôt, les autorités vont bientôt faire les travaux de reconstruction...
Pourtant, en janvier 2010, rien n'avait changé dans la cité HLM de Marina Beach: pas d'échafaudages ni d'ouvriers. Juste des habitants qui squattent leurs anciens appartements, calfeutrant trous et fissures à coup de papier-maché et de tôles ondulées. Pire encore. Depuis le tsunami, on note à Chennaï la réémergence de plusieurs maladies à vecteurs (dengue,paludisme, chikungunya) et de maladies liées à la pollution de l'eau (Diarrhées, leptospirose). 
"Pourtant, vous voyez ces immeubles flambants neufs derrière nous?" grommelle le frère de Yasmina. "Eux, ils ont poussé comme des champignons". 
Des tours ultra-modernes bordent la longue route de Mamallapuram, que l'on surnomme le IT-Corredor: elles abritent les sièges asiatiques des entreprises multinationales de l'Informatique
L'informatique. La chance de la région. L'oxygène de milliers jeunes dont c'est le seul espoir de travail digne et bien rémunéré. "Un travail propre qui permet d'élever une famille dans la dignité" ajoute Ahmed, "Alors, que voulez-vous? On ne va pas se plaindre..."
C'est bien le rêve de Ritika, la fille ainée de Yasmina: travailler pour Dell, IBM, Apple, Accenture ou Ericsson. Trouver un bon parti dans la même entreprise. Créer sa Start-Up, pourquoi pas?... Et sortir sa mère de l'enfer.
Nous voilà parti - Ahmed, Lisa la soeur et Judy (la plus jeune des filles de Yasmina), pour un périple en Rikshaw (triporteur) dans les rues de Chennai à la rencontre de Ritika, l'espoir de la famille. Aujourd'hui, elle fait un stage de gratte-papier chez Nokia Siemens.  
Les deux triporteurs vrombissent et slaloment au petit bonheur la chance entre vaches et camions, dans le centre historique malmené. Ils longent le pompeux gâteau de briques de sa cour de Justice, héritage colonial des anglais, qui pourrit doucement à l'ombre des sycomores géants. Les larges avenues sont saturées de monde, les déchets encombrent les trottoirs, les boutiques fleurissent entre 3 murs en carton. Chennai est au 2e rand des villes les plus agréables à vivre de l'Inde, derrière New Delhi. Elle n'est pourtant qu'au 177e rang mondial: ordures à l'air libre, pollution et embouteillages...

Nous arrivons enfin à Parrys. Le coeur commerçant de la ville, où Ritika (à gauche avec le badge) est chargée de vérifier des listings de pièces détachées pour l'usine d'assemblage. Brouhahas dans la foule. On s'écarte face à mon appareil photo. Nous décidons d'aller au parc, pour parler de Yasmina, en partageant nos shoarmas.
Car j'oubliais de vous dire, de Yasmina, il n'y a rien d'autre que cela: ses filles, ses proches, son souvenir. Yasmina est repartie
Depuis 2 mois, elle est employée de maison au Koweit, chez un riche émir qui a 3 épouses et une ribambelle d'enfants. Il parait qu'elle va bien. Qu'elle reviendra dans 2 ans.

dimanche 14 février 2010

Love is in the air...



Bahreïn est teintée de rouge

50 tonnes de roses vermillon ont été livrées par voies aériennes dans le Royaume de Bahreïn ce week-end. 






Un Casanova Koweitien a commandé à lui seul 5000 corolles destinées à couvrir le sol de sa maison. Aujourd'hui, dimanche 14 février, jour de la Saint Valentin, les pieds de sa femme ne toucheront que la soie veloutée de pétales écarlates.  Facture: 18.000€.
Un Saoudien a préféré, quant à lui, construire un coeur en fer dans le jardin de sa résidence secondaire et le recouvrir de 3000 boutons carmins pour sa femme. Facture: 9000€.

Même le traditionnel village de Muharraq n'en finit plus d'afficher un souk aux allure de Red Light District. Quant à l'aéroport, il décore chaque passagère au départ ou à l'arrivée de Bahreïn, d'une corolle empourprée. Une bonne action (marketing) du manager du Duty-Free.
Plus insolite sans doute, l'offre d'une des cliniques de chirurgie esthétique de Bahreïn: une opération du nez soldée à moitié prix pour la Saint-Valentin. 
Quelle drôle de société... 

Ecoeurant, me direz-vous?
Sans doute. 
Par nature, l'excès de débordements affectifs à tendance à provoquer, surtout chez les sujets testostéronés, un belle nausée. Le manque de discernement des nantis quant à l'utilisation de leur argent aussi. La Multinationale Cupidon ne connaît pas la crise. Cette semaine, j'ai d'ailleurs lu un passionnant reportage mené par l'un des magazines les plus cotés du Royaume: 
"Comment dépenser 1 million à Bahreïn pour la Saint-Valentin?" (env. 2 millions d'Euros). Malgré tous ses efforts, le journaliste n'a pas réussi à relever le défi. Petite pointure...

Ecoeurant, donc, le concept du 'jour pour l'Amour'. Un peu benêt aussi, je vous l'accorde. Mais envisageable. Possible. Pas interdit, je veux dire. 
Et dans le coin, c'est plutôt une victoire. 
En Arabie, les Saints ne sont pas les bienvenus.  M. Valentin avait beau être un valeureux prêtre BCBG, mariant les  soldats à la barbe de l'Etat pour les soustraire à la guerre, il est devenu un Saint Chrétien en 498 après JC. Quant à son statut de Patron des Jeunes à marier, il le tiendrait de l'Angleterre et de la France, une tradition du XIVe siècle née d'un ravissant poème signé par le Duc d'Orléans à sa femme un 14 février, alors qu'il se morfondait prisonnier dans la tour de Londres.

Même si Jésus - l'apôtre - peut s'enorgueillir de sa sourate dans le Coran (tout comme la vierge Marie), les Saints, eux, n'ont qu'à bien se tenir. 
Rien à dire à Bahrain, Dubaï ou Abu Dhabi. Les hôtels de la ville la plus en faillite du monde sont drapés de rouge et  l'Emirates Palace, le 7 étoiles de l'Emirat d'Abu Dhabi (qui s'est "payé" Dubaï dernièrement), propose aux couples la plus luxueuse suite 8 jours au prix cassé de 1 million de US Dollars.  

En Arabie Saoudite, en revanche c'est un autre topo. La police religieuse de Ryadh (Islam Wahhabite) a effectué hier une descente d'envergure dans tous les magasins et boutiques qui auraient eu le malheur de vendre des objets de couleur rouge.  Le 14 février, les coeurs, les roses, les fleurs rouges même en plastique, les téléphones rouges, voire même les stylos rouge sont devenus des objets de contrebande, confisqués et détruits. Pas de sacs à mains rouges ni de cadeaux enveloppés de papier carmin. Les roses s'arrachent à 80€ pièce au marché noir...
Interdit de voir rouge! 
Sauf les feux de circulation et les canettes de Coca-Cola, il va sans dire. 
"Ceux qui ne se plient pas à la Loi seront gravement punis" stipulait la police religieuse, dans les journaux saoudiens, sans toutefois spécifier comment. 

Officiellement, les (bons) musulmans ne célèbrent pas la Saint-Valentin. Ni même les anniversaires ou la fête des mères. Niet. Nada.
Premièrement parce que le calendrier des fêtes religieuses est strict, sans possibilité d'ajout ou d'élimination. Il a été déterminé par Allah et son messager -Ibn Taymiyyah may Allah.

Ensuite parce que la fête de la Saint-Valentin, anciennement fête romaine des Lupercales antérieure à l'Islam, célébrait la félicité de l'amour physique et la fertilité, avant d'être récupérée par les Chrétiens. Les prêtres de Lupercus sacrifiaient des chèvres et couraient les rues de Rome en petite tenue pour toucher les passantes afin de les rendre fertiles! 

Enfin parce que l'amour que prône le Saint Chrétien, aussi romantique qu'il soit, aboutit -au lieu de commencer- par un sacrement de mariage. Autrement dit, on s'aime puis on se marie. Et non l'inverse. Haraam! (péché)

Bref, peu importe. Demain, en Arabie Saoudite, les objets rouges reprendront leur place dans les vitrines, comme si de rien était. De contrebande, elles reprendront le statut de marchandises légales.  Demain, à Bahreïn, les amoureux saoudiens du week-end passeront le grand pont de 20kms qui les ramènent dans leur Royaume, le coeur en fête.
Qu'on l'aime ou qu'on la déteste, cette fête, réjouissons-nous au moins d'avoir le choix de la célébrer ou pas. 










Prise de tête:

"The reasonable man adapts himself to the world. The unreasonable one persists in trying to adapt the world to himself. Therefore, all progress depends on the unreasonable man". George Bernard Shaw (1856 - 1950)