mardi 27 avril 2010

L'histoire de Yasmina - la suite

Il y a 8 mois, dans un avion Oman Air à destination de Bahreïn, une drôle d'histoire d'amitié est née entre le siège 15A et le siège 15C.  (cf blog- L' histoire de Yasmina).
Yasmina, l'indienne de Chennai, rentrait chez elle en Inde, après un exil volontaire à Oman.  En transit entre deux villes et deux vies, elle était douce à regarder et émouvante à écouter, avec son corps en morceau et son coeur en fête. Et voyez comme la vie est ironique! J'ai fêté cette année le nouvel an à... Chennai.

Il n'y a pas de hasard. Que des signes. Il me fallait retrouver Yasmina. 
Avec le numéro de téléphone en main, rien de bien compliqué. 
J'eus d'abord en ligne son frère Ahmed (photo): un rendez-vous sur la grande plage de Marina Beach (photo), face aux immeubles dévastés par le tsunami de 
2004.

"Regarde! C'était ici, la maison de Yasmina. Tu vois le trou dans cette façade? 
Un thonier de 18m de long est passé par là, emporté par la vague. Un monstre, un mur d'eau qui a propulsé le bateau à travers l'immeuble, le perçant de part en part. Yasmina et ses filles étaient chez moi. Une chance. Mais ce soir-là, son mari a disparu. Yasmina s'entête à dire qu'il n'est pas mort. Qu'il est perdu et va revenir. Quand elle aborde le sujet, nous, on tourne la tête: there is nothing to say...".


Depuis, la famille a été relogée avec les centaines de voisins en périphérie de la ville, loin de la mer, près du bidonville de Gandhi Nagar. Mais peu les pêcheurs ont accepté de rester dans cette cité éphémère de contre-plaqué où les éboueurs ne passent pas. A quoi bon puisque bientôt, les autorités vont bientôt faire les travaux de reconstruction...
Pourtant, en janvier 2010, rien n'avait changé dans la cité HLM de Marina Beach: pas d'échafaudages ni d'ouvriers. Juste des habitants qui squattent leurs anciens appartements, calfeutrant trous et fissures à coup de papier-maché et de tôles ondulées. Pire encore. Depuis le tsunami, on note à Chennaï la réémergence de plusieurs maladies à vecteurs (dengue,paludisme, chikungunya) et de maladies liées à la pollution de l'eau (Diarrhées, leptospirose). 
"Pourtant, vous voyez ces immeubles flambants neufs derrière nous?" grommelle le frère de Yasmina. "Eux, ils ont poussé comme des champignons". 
Des tours ultra-modernes bordent la longue route de Mamallapuram, que l'on surnomme le IT-Corredor: elles abritent les sièges asiatiques des entreprises multinationales de l'Informatique
L'informatique. La chance de la région. L'oxygène de milliers jeunes dont c'est le seul espoir de travail digne et bien rémunéré. "Un travail propre qui permet d'élever une famille dans la dignité" ajoute Ahmed, "Alors, que voulez-vous? On ne va pas se plaindre..."
C'est bien le rêve de Ritika, la fille ainée de Yasmina: travailler pour Dell, IBM, Apple, Accenture ou Ericsson. Trouver un bon parti dans la même entreprise. Créer sa Start-Up, pourquoi pas?... Et sortir sa mère de l'enfer.
Nous voilà parti - Ahmed, Lisa la soeur et Judy (la plus jeune des filles de Yasmina), pour un périple en Rikshaw (triporteur) dans les rues de Chennai à la rencontre de Ritika, l'espoir de la famille. Aujourd'hui, elle fait un stage de gratte-papier chez Nokia Siemens.  
Les deux triporteurs vrombissent et slaloment au petit bonheur la chance entre vaches et camions, dans le centre historique malmené. Ils longent le pompeux gâteau de briques de sa cour de Justice, héritage colonial des anglais, qui pourrit doucement à l'ombre des sycomores géants. Les larges avenues sont saturées de monde, les déchets encombrent les trottoirs, les boutiques fleurissent entre 3 murs en carton. Chennai est au 2e rand des villes les plus agréables à vivre de l'Inde, derrière New Delhi. Elle n'est pourtant qu'au 177e rang mondial: ordures à l'air libre, pollution et embouteillages...

Nous arrivons enfin à Parrys. Le coeur commerçant de la ville, où Ritika (à gauche avec le badge) est chargée de vérifier des listings de pièces détachées pour l'usine d'assemblage. Brouhahas dans la foule. On s'écarte face à mon appareil photo. Nous décidons d'aller au parc, pour parler de Yasmina, en partageant nos shoarmas.
Car j'oubliais de vous dire, de Yasmina, il n'y a rien d'autre que cela: ses filles, ses proches, son souvenir. Yasmina est repartie
Depuis 2 mois, elle est employée de maison au Koweit, chez un riche émir qui a 3 épouses et une ribambelle d'enfants. Il parait qu'elle va bien. Qu'elle reviendra dans 2 ans.

Prise de tête:

"The reasonable man adapts himself to the world. The unreasonable one persists in trying to adapt the world to himself. Therefore, all progress depends on the unreasonable man". George Bernard Shaw (1856 - 1950)