mardi 15 février 2011

Bahreïn, l'équilibriste


Oui, il semble que la situation dégénère.

Rien de comparable à l'Egypte ou la Tunisie, soit.
Mais on comptait cet après-midi entre 6000 et 15.000 manifestants (selon les sources, on s'en doute) sur le rond-point de la Perle, la Tahrir square des Bahrainiens. Tous solidaires à l'appel d'une page FACEBOOK intitulée "Jour de rage" (je me garde de traduire le nom en anglais, les sites et blogs étant sous surveillance), ceux-ci avaient défilé avec véhémence déjà hier.
Un "remake" de l'appel au "Mouvement du 6 avril" en Egypte.

Aujourd'hui, le mouvement, loin de s'éteindre, prend de l'ampleur. Le nombre de manifestants a doublé, voire triplé, en raisons de deux décès survenus entre hier et aujourd'hui.

Deux jeunes chiites -doit on le préciser- ont officiellement trouvé la mort, l'un -Ali Mcheimeh, du village de Al Diyar sur l'ile voisine de Muharraq, est décédé mardi des suites de ses blessures, survenues lors d'une confrontation musclée avec les forces de l'ordre. L'autre- Adel Salman Matrouk- fut atteint par une balle à fragmentation qui a "ricoché", devant l'hôpital où se trouvait le corps de la première victime. Si vous avez un doute sur ce que le terme "musclé" peut signifier, allez voir la video de Bahreïn sur le site du journal Libération.

Il faut dire que la Police d'ici n'est pas la même que celle de chez nous. Les envoyés des Human Rights avaient perçu le potentiel de violence: la force royale est efficace, constituée en grande partie de milices venues de Syrie, Soudan, Yemen, Pakistan ou Maroc, attirées par la promesse d'une éventuelle citoyenneté Bahreïnienne. "Même s'ils ne parlent pas un mot d'arabe!" ajoute Lulwa, assise à une table du Café Costa, au coeur du plus luxueux Shopping Center de la ville de Manama, City Center. Elle pianote sans relâche sur son Nokia, impatiente de recevoir un SMS annonçant le prochain lieu de manif. pour son clan. "On a un état sunnite qui préfère donner des emplois à des étrangers et qui exclut les chiites, alors que nous sommes les plus nombreux!" s'emporte-t-elle, en remettant rageusement son voile drapé sur sa tête.

Les Bahreïniens ont pourtant bien choisi par référendum, lors de leur indépendance en 1971, de faire allégeance au clan Al-Khalifa, lignée d'émirs arabes et sunnites. Si le pays a initié en 2001, un processus unique dans la région d'ouverture politique en réussissant la formation d'une première chambre élue de tout le Golfe, on ne badine pas pour autant avec le risque de déstabilisation du régime -sunnite- par une population a dominance chiite.

A sa décharge, l'Iran (Chiite), voisin invisible de l'autre coté du Golfe, est aussi proche que gorumand. Il est insidieusement présent dans la marche du pays à 70% chiite. En 2009, le porte-parole du parlement Iranien Ali Akber Natq Nouri avait cependant rappelé avec diplomatie que "Bahreïn était la 14e province d'Iran et disposait à ce titre, durant le règne du Shah, d'un représentant au parlement". Une intervention qui valu a l'Iran un gel total des négociations sur de futurs contrats de gaz Saudi-Bahreni. Mais le géant perse convoite ce hub de la finance et de l'énergie d'un oeil d'autant plus affûté que Bahreïn abrite la 5eme flotte américaine, composée de 15.000 hommes, chargée du contrôle des embargos, des routes maritimes et de la sécurité des détroits du Golfe. Un royaume gros comme une tête d'épingle (60km sur 80), qui pèse sur l'échiquier.

Tout autour de City Center, sur les terrains vagues qui entourent les gratte-ciel et centres commerciaux géants du centre-ville, des rangées de fourgons de Police rutilants attendent les ordres. Des escadrons prêts à l'appel.



L'autoroute principale, qui traverse le centre-ville et surplombe le "Pearl Round about" est fluide dans un sens (vers le pont de l'Arabie saoudite) et complètement bouchonnée de l'autre (vers le centre-ville): fermée jusqu'à "nouvel ordre", un terme repris par le Lycée Français sur son site. Pas de travail, pas d'école . Aujourd'hui pourtant, il faisait beau et nous sommes allés pique-niquer au Fort de Bahrain, histoire de relativiser et d'ancrer cette île dans son histoire, qui, il y a 5000 ans, était connue comme le "Jardin d'Eden", pourvue de sources d'eau douces en abondance et d'une végétation luxuriante.

Système sur mesure. Majorité Chiite, dirigée par une minorité Sunnite: la balance est délicate, et compliquée par le fait que la moitié de la population est immigrée. A la chambre des élus, le mouvement chiite al-Wefaq compte 18 élus sur 40 sièges. La Chambre dispose de pouvoirs limités. Le poste de Premier ministre est occupé par un membre de la dynastie sunnite des Al-Khalifa qui règne depuis 1783 sur Bahreïn.
SM L'émir Hamad Bin Isa al-Khalifa s'est d'ailleurs auto-proclamé roi il y a seulement neuf ans, en 2002.
Le 14 février, exactement.
Tiens donc.

PS: Seulement trois de ces photos sont miennes. Le reste= Reuters.

1 commentaire:

Alice a dit…

Une super mise à jour, Francine, merci! Bahrain est dans mon coeur!
Lire tes textes est toujours un grand plaisir pour moi: l'information qui coule doucement à travers un langage attachant, 'fun' et recherché à la fois. Gros bisous :)

Prise de tête:

"The reasonable man adapts himself to the world. The unreasonable one persists in trying to adapt the world to himself. Therefore, all progress depends on the unreasonable man". George Bernard Shaw (1856 - 1950)