vendredi 18 février 2011

Double jeu, double discours









Arrivée des tanks de l'armée dans les rues de Bahrain ce matin.



Ce matin, tout Bahreïn s'est réveillé avec la gueule de bois. Groggy, K.O. Un sale goût dans la bouche.
Qu'était-il advenu de notre petit coin tranquille et bon enfant, notre "colonie de vacances" pour expats, ancienne civilisation de Dilmun, l'ile aux 1000 palmiers, la perle du Golfe?

Les moins bien lotis pleuraient un ami ou un frère. Les plus chanceux digéraient encore les images de violence visionnées la veille sur twitter, Facebook ou à la télévision, très en retard sur les évènements, confirmant ce que l'on sentait déjà: Une nuit de boucherie au rond-point du Lulu. Pas d'autres mots.
Actes de violence gratuite, blessures à la tête par centaines, secours et ambulances interdits d'accès à la place Lulu, menaces de morts et actes de maltraitances sur du personnel soignant venu sur place... sans compter les 4 morts (officiels) et les 60/70 personnes disparues, adultes ou enfants. Human Right Watch est débordé. Et les USA, bien emmerdés.

A 9h, j'osais à peine remettre le nez sur internet. Finalement, tout paraissait plutôt calme.

A 10h, Bahreïn enterrait 3 de ses 4 défunts, décédés jeudi soir ou vendredi, des suites de leurs blessures.
L'enterrement a eu lieu dans le calme, avec des slogans appelant - soit- à la chute du régime, mais c'est de bonne guerre après un coup pareil...
La cérémonie collective se déroulait à Sitra, une île séparée de l'ile de Manama par deux ponts, dont l'un donne accès direct à la base Americaine, la 5eme flotte, le fleuron américain dans le Golfe (15000 hommes et pas des tendres...). A priori, pas de danger de "débordements".

Et bien, raté.
Peu avant le coucher de soleil, 16h? 16H30? L'armée a tiré sur la foule, blessant 20 à 40 personnes, dont 4 grièvement. Les manifestants (entre 1000 et 2000 selon sources) tentaient -selon certains- de rejoindre la place de la Perle (Lulu) pour revendiquer. Selon d'autres témoins, il s'agissait des familles des défunts retournant vers leur quartier à l'autre bout de l'ile, Budaya.


Un nouvel affrontement, avec des tirs de balles réelles et beaucoup de blessés. Les médecins de l'Hopital Salmaniya annoncent que les services sont saturés, appellent la population à venir donner du sang et demande de l'aide à la communauté internationale.





Confrontations de ce jour. Face aux chars, cette fois
(photo anonyme)

L'entrée de Salmaniya Hospital ce soir. (Photo Reuters)














Autre monde, autre coté du miroir, voici le communiqué officiel de "We are Bahrain" un groupe pro-gouvernemental sur facebook et Twitter:
" Les autorités militaires confirment qu'elles ont affrontés ce jour un groupe de manifestants qui souhaitaient rejoindre la place Lulu (perle), fermée au public depuis la nuit d'évacuation du 17 février. Ils ont été amenés à tirer des balles d'avertissement sur la foule. Les manifestants ont alors sortis des sacs de faux sang et s'en sont recouverts pour créer un faux scénario d'horreur destiné à la fabrication de
photos pour la presse. Le Ministère de la Santé confirme qu'il n'y a aucun blessé.".

No comment.

Cet après-midi, les bahreïnniens pro-gouvernementaux ont défilé en voiture dans les rues de Bahreïn. En masse. Et ils ont bien fait. Ils ont aussi leur mot à dire, que diable! Ils ont d'ailleurs jamais manqué de pouvoir l'exprimer, eux.
Dans la petite île d' Amwaj où j'habite, ceux que j'ai croisé au Tea Club étaient fort sympathiques, assurant que la fin de la "crise" étaient proche, que le dialogue commencerait dès que les chiites accepteraient de s'assoir à la table des négociations".

Manifestants pro-gouvernementaux ce soir à
Amwaj.


C'est d'ailleurs ce que cette journaliste - qui ne manque pas de "couilles" - à oser demander au Ministre des Affaires Etrangères de Bahrain, lors du sommet du GCC (pays du Golfe).
Pour moi, Reem Khalifa du journal Al Wasat, c'est le "héros" de la semaine. Elle a monopolisé le micro, demandant, d'abord dans le calme puis en pleurs, que le gouvernement écoute son peuple, ouvre le dialogue, cesse la violence...





C'était il y a deux jours.

A priori, le message a du mal à rentrer.
Quoique?

A l'instant, communiqué officiel du Crown Prince, Prince héritier de Bahrain: "Un appel au calme entre les deux parties! Donnez-nous du temps. Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes inhérents à l'Histoire de Bahreïn en quelques heures. Nous demandons plus de respect mutuel et de confiance, pour atteindre une solution".

Les Chiites, 70% de la population de Bahreïn, demandent la libération des centaines de chiites emprisonnés en aout 2010, sans jugement. Ils demandent aussi "Une véritable monarchie constitutionnelle avec un gouvernement élu par le peuple». La famille royale tient 50% des postes au sein du gouvernement. Elle est aussi le symbole de la corruption". C’est ce qu’a déclaré mercredi 16 février 2011 Ali Salmane, chef de l’opposition chiite. Les chiites se plaignent régulièrement d’être discriminés, en matière d’emploi, d’accès aux services sociaux ou au logement. Ils reprochent aux autorités de favoriser les sunnites venus de l’étranger, qui obtiendraient facilement la nationalité bahreïnienne et les avantages qui vont avec.

Les chiites de Bahreïn contenteront-t-ils du discours officiel de ce soir?
Au moment ou je vous parle, plusieurs centaines de manifestants sont réunis devant l'hôpital Salmaniya, et appellent la communauté internationale à l'aide.
Dans 15 jours, Bahreïn acceuille le premier GP de Formule 1 de la saison. Voilà qui met la pression....



Incroyable intervention de la journaliste Reem Khalifa au Minitre des Affaires Etrangères de Bahreïn, au sommet extraordinaire du GCC, mercredi.
Un acte anodin, en Europe mais que l'on peut payer cher ici.
Traduit en anglais par J. Al-Ali.

"Your Excellency

I need to say a word in front all of the media. I'm a Bahraini citizen, my father is sunni, and my mother is shia. Mixing and intermarrying in bahrain is a part of our society's culture. We do not discriminate, I am not sectarian. I adore my country to the bone. I am an independent reporter; I love my country and i'd give anything for it. We believed his majesty the king, and we voted on the national charter.

What happened in lulu square was a massacre, your excellency. Forgive me, and I say this in front of the local and international media, and i do not want to embarrass anyone. What i saw, was unbelievable. What is happening in Salmaniya Hospital is unbelievable. We need blood, we need doctors for the injured. I do not want to lengthen this, forgive me. My loyalty is to my country, and I just want to say we do not want to change anything. All we hoped for is to have a voice, and participate in the reform process. Believe me your excellency, and to all the royal family, I wrote it with the loudest voice, what is the problem? Is it a trust issue? Is there a problem between the government and the citizens? Why is this discrimination happening?

Please your excellency, forgive me i just have to tell you. When i saw the scene, saw the injured, and the people falling on the ground... forgive me but I'm shaking right now. I am in a mourning state for my country. and I'm saying this with all due respect, I plead the king to take the just course and save this country. I also plead the gcc.. why does the army come into a gulf country? Excuse me, but right now i do not talk as a journalist, I'm just wondering why is this happening? Did the situation require armies from neighboring countries to come in? We did not sleep your excellency since 3 am, this is wrong, and i wish from the bottom of my heart that this is resolved."

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Prise de tête:

"The reasonable man adapts himself to the world. The unreasonable one persists in trying to adapt the world to himself. Therefore, all progress depends on the unreasonable man". George Bernard Shaw (1856 - 1950)